En Avril 2011, la Cote d’Ivoire sortait d’une crise post-électorale qui avait littéralement défigurer le pays. Une dizaine d’années plus tard, le pays s’est complètement remis sur pied et se positionne de nos jours comme l’une des puissances économiques en Afrique de l’Ouest. En plein pied dans cette ascension fulgurante, la république dirigée par le Président Alassane Dramane Ouattara cherche davantage à se mettre sous le feu des projecteurs sur la scène internationale comme une destination africaine « à ne pas manquer » et surtout comme une terre propice aux affaires. Pour atteindre cet objectif, Abidjan a décidément de miser sur un phénomène mondial en plein essor : La diplomatie par le sport ou le ‘’soft power’’. Lisez pour en savoir plus !
Ils sont nombreux ces pays africains qui s’essaient dans cet ordre de soft power ces derniers années. On peut citer entre autres : le Rwanda, le Maroc, etc. Pour la Cote d’Ivoire, la campagne dans la diplomatie par le biais du sport a véritablement commencé en 2017 lorsque la ville d’Abidjan accueillait les VIIIe Jeux de la Francophonie. Bien avant cela, il y a eu d’autres évènements sportifs internationaux comme le Championnat d’Afrique de basketball ou encore la coupe du monde de Taekwondo tous organisés en 2013 dans cette ville d’Abidjan, la capitale économique du pays. Sauf que ces évènements n’ont pas eu le même niveau de médiatisation ni d’engouement que les Jeux de la Francophonie qui, il faut le souligner, sont devenus au fil des années, un véritable tremplin de promotion culturelle et sportive pour les pays francophones. La particularité des jeux de la Francophonie est que plusieurs pays de différents continents y prennent part. Ce qui constitue une très bonne aubaine pour le pays hôte de se promouvoir.
Les 8e Jeux de la Francophonie avaient mobilisé à l’époque du côté de la cité de la lagune Ebrié plus de 3 500 participants venus de 43 Etats et Gouvernements membres de la Francophonie, 900 journalistes accrédités dont 300 journalistes internationaux, 8 chefs d’Etat et plusieurs représentants des Etats et gouvernements selon des chiffres officiels du comité d’organisation. C’était déjà un record de participation dans l’histoire des Jeux de la Francophonie. Ce qui avait donné une fière allure au Président Ouattara qui, dans son discours, a même revendiqué la paternité des jeux de la francophonie. Selon ses dires, l’ancien Président Ivorien Felix Houphouët Boigny avait initié dès 1984 un évènement similaire appelé les jeux de l’amitié et que les initiateurs des Jeux de la Francophonie se sont inspirés sur cet événement.
Le Président ADO comme l’appellent affectueusement les jeunes ivoiriens avait aussi souligné dans son discours que « les Jeux de la Francophonie représentent une force politique, culturelle et sociale dont ils pourraient tirer des bénéfices plus importants qu’ils pouvaient imaginer ».
La double consécration avec la CAN 2023
L’appétit vient en mangeant dit un adage africain. Après la parfaite organisation des 8e jeux de la Francophonie, Abidjan s’est lancée dans la course pour l’organisation de la Coupe d’Afrique des Nations de Football (CAN) 2023 qui lui a été officiellement attribuée en 2014.
Contrairement aux Jeux de la Francophonie ou le championnat d’Afrique de basketball, etc. qui ont été organisés dans la seule ville d’Abidjan, l’organisation de la CAN à l’étape actuelle c’est au minimum 05 villes avec des grands stades, des bonnes voies, des hôtels de haut standing, des aéroports internationaux, des hôpitaux, etc. conformément au cahier de charge de la confédération africaine de football. C’est elle qui est la structure organisatrice de l’événement et tout doit passer sous sa supervision. C’est donc dire que le défi était immense pour ce pays qui doit organiser le plus grand évènement sportif en Afrique et l’un des plus grands au monde. Pas de temps à perdre. En fin décembre 2016, la construction du stade olympique Alassane Ouattara d’Ebimpé est lancé à Abidjan. L’enceinte ultra-moderne d’une capacité de 60 000 places a été mise en place stratégiquement pour le match d’ouverture et la finale du tournoi. Quelques mois après, les travaux de rénovation du mythique stade Felix Houphouët-Boigny situé en plein cœur d’Abidjan dans la commune administrative du Plateau furent lancés. Les travaux de construction du stade Laurent Pokou situé dans la ville balnéaire de San Pedro à plus de 250 km d’Abidjan, du stade Charles Konan Banny situé dans la capitale politique Yamoussokro, le stade de la Paix à Bouaké la 3e ville du pays et le stade Amadou Gon Coulibaly à Korhogo au Nord de la Cote d’Ivoire sont tour à tour lancés. Également, des cités de haut standing ont été construites dans les villes qui n’ont pas assez d’infrastructures hôtelières pour recevoir les différentes délégations.
En plus d’injecter des sommes faramineuses pour la construction des infrastructures, le Président Ouattara qui tenait la CAN de tout son cœur suivait les préparatifs de très près. Il n’a pas hésité à limoger son ministre des Sports Danho Paulin suite à l’affaire dite ‘’de la pelouse d’Ebimpé’’. En effet, la pelouse du stade a été inondée à la suite d’une pluie lors d’un match amical entre la Cote d’Ivoire et le Mali programmer juste pour tester l’infrastructure à quelques mois du coup d’envoi du tournoi. Le ministre Paulin Danho fut remplacé par le Premier Ministre en même temps ministre des sports Robert Beugré Mambé, l’homme de confiance du Président Ouattara quand il s’agit de l’événementiel sportif. Beugré Mambé était également aux manettes pour l’organisation des VIIIe Jeux de la Francophonie en 2017 alors qu’il occupait à l’époque, le poste du ministre gouverneur du district d’Abidjan. Tout a été pris au sérieux jusqu’au sommet de l’Etat Ivorien pour que rien ne gâche la fête.
« Nous avons donné l’assurance au président de la CAF que nous ferons tout ce qu’il faut pour que cette CAN soit un grand succès », a indiqué le chef de l’Etat Alassane Ouattara à la sortie d’une audience avec Patrice Motsepe le patron de la CAF au palais présidentiel le 11 janvier 2024.
Selon certaines sources, l’organisation de la CAN 2023 a couté à l’Etat ivoirien environ 1 500 milliards de FCFA soit plus d’un milliard d’euro. La moitié de cette somme a été absorbée par la construction des infrastructures a détaillé l’ex ministre des sports Paulin Danho en conférence de presse le 12 juillet 2023.
Après un léger report (initialement prévu en juin 2023) de l’évènement due aux conditions météorologiques, la CAN de « l’hospitalité » a tenu toutes ses promesses pour le grand bonheur du premier du peuple ivoirien avec leur président en tête. « …Chers amis sportifs, chers jeunes, Bienvenue à Babi (babi veut dire Abidjan selon des jeunes ivoiriens). La Cote d’Ivoire est très heureuse et fière d’accueillir pour la deuxième fois de son histoire la Coupe d’Afrique des Nations », ont été les premiers mots du Président de la République Alassane Ouattara. C’était en marge de la cérémonie d’ouverture de la CAN le 13 janvier 2024 depuis les tribunes du stade d’Ebimpé.
Très comblé de voir ainsi l’évènement tant attendu débuté, ADO n’a pas manqué de rappeler à qui veut l’attendre que « la Cote d’Ivoire est l’Afrique en miniature ». « Nous avons dans notre beau pays chacun des 54 pays du continent et nous sommes contents qu’ils se plaisent et qu’ils vivent avec nous », a indiqué le chef de l’Etat Ivorien sous les ovations du stade. Le dirigeant a aussi saisi la belle opportunité pour rappeler que son pays est surtout « une terre d’opportunité », une manière de faire une déclaration d’amour aux investisseurs.
Malgré un début de tournoi très peu reluisant marqué par deux défaites sur trois matchs en poule, l’équipe de la Cote d’Ivoire a pu remporter la CAN devant son public. Une victoire finale qui a sonné comme un bonus puisqu’elle est venue couronner un tournoi parfaitement organisé par le duo CAF-Gouvernement ivoirien. « Le sport est un instrument de puissance tant par l’organisation des compétitions que par les victoires dans ces dernières années » dira le célèbre spécialiste de la géopolitique Pascal Boniface dans son ouvrage intitulé ‘’ Géopolitique du sport ’’. Tous les spécialistes de l’événementiel sportif et la même CAF étaient unanimes que la CAN 2023 est la meilleure CAN jamais organisée dans l’histoire sur tous les plans. « Le sport est le moyen le plus rapide de délivrer et d’assurer la promotion d’un pays », a déclarait en 2003 Al Mulla à l’époque directeur de communication du palais royal de l’Emir du Qatar quand justement le Qatar commençait son processus d’investissement dans le sport.
La promotion du tourisme par l’évènementiel sportif
A l’image des pays d’Afrique de l’Est tels que le Rwanda, le Kenya, la Tanzanie, etc… la Cote d’Ivoire a décidé de miser sur son secteur touristique avec la mise en place d’une stratégie de développement dénommée Sublime Cote d’ivoire . Si ladite stratégie a pour ambition de booster l’économie nationale à travers le tourisme, elle n’en demeure pas moins une solution pour attirer le monde extérieur vers la destination Cote d’Ivoire. Cette opération ne peut se réaliser facilement qu’à travers le secteur du sport. L’exemple parfait sur le continent reste le Rwanda qui, à travers « Visit Rwanda » attire énormément de touristes de toutes les nationalités sur le sol rwandais ces dernières années.
Pour accélérer le processus, le ministère ivoirien du tourisme a scellé un partenariat en Aout 2023 avec le club historique et populaire de France, l’Olympique de Marseille. Un contrat d’une durée de 03 saisons dont le montant de l’accord n’a pas été relevé. Conformément aux termes du deal, le logo Sublime Cote d’Ivoire apparaitra sur le short des joueurs pour les matchs du championnat, sur le dos des tenues d’échauffement et sur les panneaux publicitaires du stade de Marseille. Un match par saison en championnat sera dédié spécialement à ce partenariat. Le jour de ce match spécial, des activités de marketing et de promotion seront organisées aux abords du stade Vélodrome. Toujours pour ce match, un salon VIP sera dédié aux officiels ivoiriens en charge du tourisme qui feront le déplacement à Marseille. « Associer notre image à celle de l’OM est une opportunité sans pareille qui aura à coup sûr un effet positif sur la perception globale et le tourisme de notre pays » a indiqué Siandou Fofana, ministre en charge du Tourisme de la Cote d’Ivoire.
Les retombées financières de la CAN 2023
La meilleure CAN de l’histoire a fait énormément du bien à la Cote d’Ivoire sur la filière tourisme dirigée par la très influente Malékah Mourad Condé, directrice générale de Cote d’ivoire Tourisme . Selon le ministère en charge du tourisme, plus de 2 135 OOO de personnes ont visité le pays pendant les 30 jours de la CAN. A titre comparatif, ce chiffre représente le nombre de visiteurs en une année avant la Covid-19.
L’Etat de Côte d’Ivoire a pu générer sur la période de la CAN plus de 3 000 milliards de FCFA pour l’économie nationale. « Le résultat de la CAN a placé la Coté d’Ivoire dans les 5 destinations les plus prisées du continent. C’est à nous d’en faire une référence et tirer profit de ce positionnement », a indiqué le ministre ivoirien du tourisme Siandou Fofana au micro de nos confrères de RFI. C’était en marge du salon professionnel du tourisme et des voyages dénommé Top Resa ce 19 juillet 2024 à Paris dans la capitale française.
La candidature pour accueillir la Super Coupe de France
Visiblement Abidjan n’a plus de limites dans sa politique de diplomatie sportive. Apres la réussite des évènements africains tels que la CAN, la CAF ligue des champions féminin, la Cote d’Ivoire a pensé à passer à la vitesse supérieure. Elle a eu l’ambition d’organiser la super coupe de France encore appelé Trophée des Champions que la ligue de football professionnelle française exporte ces dernières années. La Cote d’Ivoire a candidaté pour recevoir l’évènement à Abidjan notamment au Stade Alassane Ouattara d’Ebimpé, a annoncé la télévision privée ivoirienne NCI en Mars dernier. Selon la même source, un autre pays africain en l’occurrence la République Démocratique du Congo et un pays asiatique la Corée du Nord ont également candidaté pour recevoir le match qui va opposer en Aout 2024 le PSG à son dauphin en championnat l’AS Monaco.
Finalement, c’est Pékin qui avait été choisi selon les médias français au détriment d’Abidjan mais le match a été reporté à une date ultérieure.
La CAN continue en Cote d’Ivoire pour les pays sans stades homologués…
Avec la disponibilité des infrastructures après le passage de la CAN 2023, Pourquoi pas candidater à l’organisation d’autres évènements internationaux. En la matière, il y a une panoplie de compétitions auxquelles la Cote d’ivoire peut recevoir dans futur proche : La CAN féminine, le mondial féminin, les CAN des jeunes, la Coupe du monde des jeunes, les jeux de la francophonie, les jeux africains, etc… Cela pour non seulement poursuivre dans sa politique sportive mais aussi d’exploiter les infrastructures construites pour la CAN 2023.
Mais avant de se préparer pour accueillir un quelconque évènement sportif, les installations qui ont servi pour la CAN continuent de profiter à plusieurs nations africaines qui ne disposent pas de stades homologués. Pour la fenêtre FIFA du mois d’octobre 2024 qui sert des éliminatoires à la CAN 2025, c’est au moins 06 nations ne disposant de stades qualifiés qui ont sollicité les pelouses ivoiriennes pour jouer leurs matchs domiciles.Quatre (04) des six (06) stades construits pour la CAN seront utilisés par “pays frères”. D’ordinaire, les pays demandeurs devraient louer ces stades mais l’État ivoirien a décidé de les céder gratuitement. Une démarche qui s’inscrit sous les signes de la solidarité et de l’unité africaine souhaitée par le chef de l’État.
“Ces rencontres (les matches NDLR) traduisent en acte concret la vision du Président Alassane Ouattara qui était de construire et de mettre à la disposition de la jeune africaine des infrastructures de dimension mondiale et contribuer ainsi à l’unité du continent et de ses peuples”, a indiqué le ministre délégué auprès du Premier ministre en charge du Sport Adjé Silas METCH. C’était lors d’une conférence organisée spécialement pour parler de cet évènement le 23 Septembre 2024.
“Les infrastructures sont mises à la disposition des pays demandeurs de façon gratuite”, a expliqué le directeur général de l’office national des Sports ( ONS) Ousmane Gbane. “Ces pays vont seulement “contribuer aux frais d’organisation”, a-t-il détaillé.
Le volet tourisme ivoirien prendra également un coup positif à l’issue de cette “mini CAN”. Pendant près de deux semaines, ce sont des centaines d’africains qui revisiteront la Cote d’ivoire. Ces personnes loueront encore des hôtels, utiliseront les moyens de transport, fréquenteront des restaurants, visiteront des lieux touristiques pour le bonheur de économie nationale.
Par Moumouni OUEDRAOGO